La qualité ne se décréte pas, non plus qu’elle ne se met en équation ni ne se codifie dans un réglement. Pas plus en architecture qu’en toute autre matière. Elle est affaire de sensibilité et de savoir-faire. Une bonne formation peut stimuler l’une, assurer l’autre. Reste à faire valoir cet acquis au quotidien face aux décideurs et aux payeurs, dans le maquis des contraintes et des impératifs du marché…
Pour mouvant qu’il soit, ce terrain est pourtant celui que le décret du 6 mars 1979, créant les services départementaux, de l’architecture leur a affecté. Les services départementaux de l’architecture ont en effet pour principal objet de promouvoir une architecture et un urbanisme de qualité s’intégrant harmonieusement dans le milieu environnant. On mesure d’emblée l’ampleur de la tâche… Placé sous tutelle du préfet, le Service départemental de l’architecture est dirigé par un architecte qui porte le titre d’architecte des bâtiments de France, au moins assisté d’un technicien des bâtiments de France et d’un secrétariat. Structure légère, donc, qui n’a pas de pouvoir coercitif, mais ajoute à ceux, bien établis, des architectes des bâtiments de France en matière d’application des lois relatives aux monuments historiques, à leurs abords, aux secteurs sauvegardés, aux sites protégés, un important rôle de conseiller. Et, de plus en plus, les architectes des bâtiments de France se voient consultés. Celui dont la fonction a souvent été caricaturée dans l’opinion, et réduite à ce pouvoir de dire non, qui faisait encore récemment le titre d’un copieux dossier de la revue “d’Architectures” (N° d’avril 1996) demeure certainement comme l’affirmait le chapeau de l’article, l’un “des derniers bastions de la qualité architecturale dans un paysage décentralisé”. L’éloge n’est pas mince. Mais, outre ces contrôles et ces conseils, les architectes des bâtiments de France et le Service départemental de l’architecture peuvent encore conduire des actions novatrices, engagées dans ce paysage décentralisé et jouant pleinement des ressources nouvelles qu’il offre.
Conjuguer la réduction de la fracture sociale et la préservation du patrimoine : pourquoi pas ?
Ainsi de l’expérience lancée par Jacques Boissière quand il dirigeait le Service départemental de l’architecture de Vendée : la création, en 1990, de l’atelier vendéen du patrimoine.
Cette association loi de 1901 concilie un double but : aider à l’insertion -ou à la réinsertion- de personnes en difficulté et permettre la réalisation de divers travaux, souvent peu ou mal pris en compte dans les procédures habituelles d’intervention sur Le patrimoine bâti ou dans son périmètre.
Pratiquement, comment fonctionne cet atelier du patrimoine depuis sa mise en action effective début 1991 ? Les services sociaux du département présentent à l’association des bénéficiaires du RMI. L’association sélectionne, sur motivation, des candidats qui se voient proposer des contrats de travail (CES, contrats emploi solidarité) dans le cadre du plan départemental d’insertion. Le Conseil général apporte une subvention de 115 000 Francs pour le fonctionnement, verse un forfait horaire de 20 Francs par personne employée la Direction départementale du travail et de l’emploi rémunère les CES et ajoute 22 Francs par heure et par personne pour la formation. Ces employés sont alors intégrés à des équipes dûment encadrées, et basées sur trois sites, La Roche-sur-Yon, Chantonnay et Les Herbiers. Ces trois municipalités ont mis des locaux à la disposition de l’association, avec l’aide du département, dont il faut souligner l’engagement. Les équipes constituées reçoivent une formation de base sur les techniques, les matériaux, les gestes, les règles de sécurité. On leur présente aussi l’architecture et l’histoire des sites sur lesquels elles vont intervenir. Cette première formation se renforce sur le concret du chantier par un suivi permanent. Elle s’accompagne aussi d’une écoute, d’un dialogue, d’une mise en relation éventuelle avec de futurs employeurs. Le matériel et l’équipement sont apportés par l’association, les matériaux par les bénéficiaires des travaux.
L’association assure encore, pour chaque équipe, la prestation du transport par minibus entre les trois lieux d’implantation et les divers chantiers.
Ces “petits” travaux répondent à de grands besoins réels
Quels sont les types de travaux ainsi entrepris ? Ce peuvent être des travaux préparatoires à d’autres, plus lourds et plus techniques, que seules des entreprises spécialisées peuvent assumer. Mais aussi, on l’a dit, des travaux que ne prennent généralement pas en compte les grands projets de restauration. Par exemple, quand ceux-ci s’attachent aux façades ou aux toitures d’un monument protégé, il est fort rare qu’ils puissent envisager le relevage du mur de clôture du parc de ce même monument. Ce peuvent
être encore des travaux d’urgence, pour assurer, sinon une vraie restauration, du moins l’arrêt d’un processus de dégradation d’un édifice, en attendant que puissent se mettre au point les dossiers de financement et procédures diverses de la restauration.
Débroussaillage, délierrage, nettoyage des abords d’un édifice, grattage, calage de pierres, rejointoiement, consolidation des murs, enduits à la chaux grasse, réparations simples et entretien d’huisserie, petits travaux de menuiserie, vitrerie, peinture, déblaiement, préparation de chantiers archéologiques et, même, au-delà, transport et installation d’expositions organisées par le Service départemental de l’architecture ou par le Département, l’éventail est large des tâches que peuvent assurer les équipes de l’atelier vendéen du patrimoine.
Ces équipes sont au nombre de trois, elles comprennent de six à huit personnes, elles interviennent sur un chantier, à raison de deux ou trois jours par semaine, mais en temps réel, certains de ces chantiers ont pu durer jusqu’à vingt ou vingt-cinq jours. L’atelier
vendéen du patrimoine conduit ainsi quelques vingt-cinq opérations chaque année. Le financement du tout provient par moitié du budget social du département, pour l’autre moitié du paiement des travaux (à des tarifs incitatifs, 30 Francs l’heure par personne) par leurs bénéficiaires. Qui sont ces derniers ? Des collectivités locales, tout autant que des propriétaires privés. Jack Revert, le directeur de l’atelier, souligne que près d’une vingtaine de propriétaires confient chacun chaque année de 10 à 15 000 Francs de travaux. Fidélité encourageante, mais peut-être, aussi, signe indicatif de réels besoins comme d’un état des moyens.
Après l’atelier, l’entreprise : voie souhaitable, mais porte étroite
Depuis sa fondation, l’atelier vendéen du patrimoine a employé une centaine de personnes (âge de vingt-cinq à soixante ans ; niveau études primaires) pour une durée allant de trois mois à deux, voire trois ans. Trois emplois ont pu être consolidés pour des personnes qui travaillent ainsi pour l’association depuis ses débuts. Pour l’instant, seule une toute petite proportion (moins de 10 %) de ces contrats temporaires avec l’association a pu être couronnée par un engagement en entreprise. Deux explications à cette situation. Jack Revert rappelle que l’association accueille des gens qui ont souvent de très gros problèmes de socialisation, cela fait partie de sa mission. Et Jacques Boissière, qui néanmoins réitère l’expérience, dans sa nouvelle affectation à La Rochelle, avec la “Brigade Pierre”, constate une certaine frilosité des entreprises, peu enclines à embaucher en cette période de crise, même si, par ailleurs, l’évidente prise de conscience par l’opinion publique de l’intérêt de la préservation du patrimoine augure bien d’un potentiel accroissement de l’activité en ce secteur. D’ailleurs, les travaux de restauration du bâti, longtemps parent pauvre du secteur “bâtiment et travaux publics” par rapport aux travaux de construction neuve, représentent d’ores et déjà 53 % des marchés.
La question se pose du sentiment de concurrence qu’auraient pu ressentir ces entreprises. Il est évident que l’accueil fait à l’atelier vendéen du patrimoine, de ce côté, a été, dans un premier temps, plutôt réservé. Là encore, les questions de personnes, de bonnes relations entretenues par les architectes des bâtiments de France avec les entreprises ont aidé à calmer les réactions qu’on pourrait qualifier d’épidermiques. Et sur le fond, la concurrence n’existe pas réellement.
Si les besoins, en matière de petits travaux variés, sont manifestes chez les propriétaires, les entreprises, avec leur personnel qualifié, sont rarement à même d’y satisfaire. Question de rentabilité.
À tel point qu’aujourd’hui certaines entreprises viennent d’elles-mêmes solliciter l’atelier vendéen du patrimoine et lui confier des travaux préparatoires à leurs propres interventions sur des édifices.
Les vraies limites de l’expérience ne se jugent que dans sa reproduction
Il est probablement trop tôt pour faire un bilan réellement interprétable de l’action de l’atelier vendéen du patrimoine. Et, quand bien même le tenterait-on, que cette seule expérience ne suffirait pas à porter un jugement équilibré sur l’avenir de la formule. À l’atelier vendéen du patrimoine s’ajoute donc désormais, en Charente-Maritime, la Brigade Pierre et l’on peut souhaiter qu’en d’autres départements naissent des initiatives similaires. Rappelons l’initiative en Gironde de Jean-Pierre Errath avec l’atelier
départemental du patrimoine. C’est sur un ensemble d’actions, conduites dans des environnements patrimoniaux, Sociaux, économiques et même politiques divers, sur une plus longue durée aussi, qu’on pourra tirer des conclusions recevables, ne serait-ce que statistiquement parlant.
Incontestablement déjà, pour les propriétaires bénéficiaires des travaux conduits, pour le patrimoine, la formule adoptée par l’atelier vendéen du patrimoine s’affirme positive. Incontestablement aussi, elle peut s’inscrire dans ce redéploiement des aides à l’emploi dont on parle tant actuellement. La limite de l’expérience que constitue pour l’instant, sur le seul plan social, son peu de retombées en termes d’emplois réels et durables, doit-elle être regardée comme un élément vraiment négatif du bilan provisoire ?
Ferait-on montre de cynisme en avançant que, dans la situation actuelle de la société, pour les personnes concernées, ce peu que propose un passage temporaire par l’atelier vendéen du patrimoine est déjà bon à prendre ?
Peut-on, doit-on envisager, mais au-delà du champ d’action directe d’un Service départemental de l’architecture, le relais d’un autre type de structure d’accueil, qui ne se préoccuperait plus des premières urgences de la réinsertion, ni de formation, mais bien d’utilisation dans la durée de compétences créées ?
Il existe bien, dans diverses villes de France, des associations prestataires de services multiples, pour répondre aux besoins des personnes âgées. L’on pourrait faire de même au service du patrimoine, et tout particulièrement du petit patrimoine, mal protégé, très menacé. La future Fondation du patrimoine en offrirait-elle le cadre et les moyens ?
Denis PICARD
journaliste